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Abus de droit à but principalement fiscal : la nouvelle arme de l’administration fiscale ?

04.02.2019 10:40 | Accueil, Actualités, Fidroit, Fiscalité

L’article L.64 A étend la procédure d’abus de droit aux opérations ayant un motif principalement fiscal, et non seulement exclusivement fiscal.

Ce qu’il faut retenir

Par un communiqué de presse en date du 19 janvier 2019, le Ministère de l’action et des comptes publics précise que « la nouvelle définition de l’abus de droit ne remet pas en cause les transmissions anticipées de patrimoine, notamment celles pour lesquelles le donateur se réserve l’usufruit du bien transmis, sous réserve bien entendu que les transmissions concernées ne soient pas fictives ».

La loi de finances pour 2019 a consacré un nouveau dispositif d’abus de droit visant à écarter les opérations et actes à motif principalement fiscal.

Selon le texte adopté, l’administration fiscale a la possibilité « d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes qui, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ont pour motif principal d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles » (LPF, nouvel art. L. 64 A).

Jusqu’à présent, l’administration disposait de deux moyens pour engager une procédure sur le terrain de l’abus de droit :

  • La fictivité de l’opération ;
  • La fraude à la loi, lorsque le motif de l’opération est exclusivement fiscal.

A l’avenir, elle pourra mettre en œuvre une procédure d’abus de droit lorsque les opérations présenteront un motif principalement fiscal.

Ces dispositions s’appliquent aux opérations réalisées à compter du 1er janvier 2020 (pour les rectifications notifiées à compter du 1er janvier 2021) et pour l’ensemble des impôts.
L’abus de droit à but principalement fiscal n’entraîne pas, automatiquement, les majorations spécifiques de 80 %, ou de 40 % lorsque le contribuable n’est pas à l’initiative de l’acte, prévues à l’article 1729, b du CGI.

La problématique essentielle soulevée par ce nouveau dispositif réside dans la difficulté pratique d’apprécier le caractère « principalement fiscal «  d’un objectif en l’absence de définition précise de ce dernier.

Conséquences pratiques

La création de cette nouvelle « forme » d’abus de droit pourrait aboutir à une multiplication des contrôles fiscaux.

Avec la procédure d’abus de droit à but exclusivement fiscal, l’administration doit démontrer que l’opération n’est guidée par aucun autre motif que l’avantage fiscal obtenu. Un motif principalement fiscal laisse une marge d’appréciation significative.

En l’absence de commentaire administratif et de jurisprudence, les questions soulevées sont nombreuses :

  • Le motif d’une opération doit-il être apprécié de manière subjective ou objective ? Une analyse subjective conduirait à rechercher l’intention réelle du contribuable, tandis qu’une analyse objective s’appuierait sur une comparaison des avantages fiscaux avec les avantages de toute nature obtenus au terme de l’opération. Si l’on s’en réfère à la solution retenue pour d’autres dispositifs anti-abus, il s’agirait plutôt de la seconde option (cf. infra) ;
  • S’il y a lieu de comparer les avantages obtenus au terme d’une opération, comment quantifier ces derniers lorsqu’ils sont davantage d’ordre juridique ? A quelle date doit être effectuée la comparaison ? Les avantages autres que fiscaux doivent-ils être réels, ou peuvent-ils être seulement potentiels ?
Exemple :

La vente à soi-même d’un bien immobilier à une société peut créer un effet de levier financier ; elle permet de procéder à une donation-partage des parts et d’adapter les statuts au démembrement de propriété.

Plusieurs remarques peuvent être faites :

  • l’effet de levier n’est que potentiel à la date de l’opération, l’intérêt économique va notamment dépendre du rendement de l’actif vendu, mais aussi de l’affectation de la trésorerie récupérée avec l’opération. Ce n’est qu’au terme du prêt que l’on pourra évaluer dans quelles proportions le contribuable s’est enrichi.
  • les avantages retirés du recours à la société, s’ils sont indéniables et potentiellement déterminants, ne sont pas quantifiables…

Pour aller plus loin

Application de l’article L.64 A

L’article L.64 A du LPF est ainsi rédigé :

« Afin d’en restituer le véritable caractère et sous réserve de l’application de l’article 205 A du code général des impôts, l’administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes qui, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ont pour motif principal d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles « .

Ce nouveau dispositif s’applique aux rectifications notifiées à compter du 1er janvier 2021 portant sur les actes passés ou réalisés à compter du 1er janvier 2020.

Ce nouveau cas de « fraude à la loi »  à but fiscal principal vise les mêmes impôts que l’abus de droit traditionnel, à une réserve près : la loi de finances pour 2019 a créé un dispositif anti-abus spécifique à l’impôt sur les sociétés codifié à l’article 205 A du CGI.

L’article 205 A du CGI élargit à l’ensemble des rectifications portant sur l’IS, le dispositif de l’article 145, k-6 du jusque-là applicable au seul régime des sociétés mères et filiales.  Il permet d’écarter les effets fiscaux d’un montage lorsque deux critères cumulatifs sont remplis :

  • l’objectif fiscal est l’objectif principal ou l’un des objectifs principaux ;
  • le montage, ou la série de montages, n’est pas considéré comme « authentique » ce qui signifie qu’il ne repose pas sur une justification économique valable.

Désormais, les textes ou décisions dont l’application littérale pourra être critiquée sont :

  • les textes législatifs et réglementaires ;
  • le droit de l’Union européenne ;
  • les conventions fiscales internationales (CE, 29 déc. 2006, n° 283314 ; CE, 25 oct. 2017, n° 396954)
  • la doctrine administrative (BOI-CF-IOR-30, 24 nov. 2014, § 80 à 110). Notons cependant, qu’il a été retenu une position différente dans un avis du Comité de l’Abus de Droit du 6 novembre 2015.

Le contribuable pourra, dans les mêmes conditions que celles prévues à l’article L.64  du LPF, solliciter l’avis du comité de l’abus de droit et bénéficier de la procédure de rescrit « abus de droit » prévue à l’article L. 64 B du LPF.
Pour rappel, le rescrit permet à un contribuable de consulter l’administration préalablement à la réalisation d’une opération. Si l’administration répond positivement (le montage n’est pas abusif), ou ne répond pas dans un délai de six mois, la procédure de l’abus de droit ne pourra pas être mise en œuvre.

Remarque :

La loi de finances pour 2019 a supprimé les effets de l’intervention du Comité de l’abus de droit en matière de charge de la preuve. La charge de la preuve appartient désormais en toutes hypothèses à l’administration.

Cet abus de droit à but principalement fiscal n’entraîne pas la majoration spécifique de 80 % (ou 40 % si le contribuable n’est pas à l’initiative de l’acte), prévue à l’article 1729, b du CGI.

En cas de but principalement fiscal avéré, l’administration écartera l’acte qui a permis au contribuable d’obtenir un avantage fiscal. L’assiette et, par conséquent, l’impôt seront recalculés en conséquence, et les pénalités de droit commun seront applicables.

Exemple :

En cas de remise en cause d’une donation préalablement à la cession de titre, l’administration pourra considérer que la cession a été réalisée par le donateur, et ce dernier sera redevable de l’impôt de plus-value. L’acte de donation sera écarté.

Les majorations de 80 % pour manœuvre frauduleuse ou 40 % en cas de manquement délibéré peuvent s’appliquer (1729, a et c du CGI). Contrairement aux pénalités propres à l’abus de droit à motif exclusivement fiscal, ces pénalités ne sont pas automatiques mais nécessitent une démonstration supplémentaire de l’administration.

Appréciation du caractère principalement fiscal

La principale difficulté de ce nouvel article L.64 A est l’interprétation du caractère principalement fiscal de l’opération. De nombreux schémas, en matière patrimoniale, présentent de forts intérêts pécuniaires et les considérations fiscales peuvent dans une certaine mesure motiver en partie un schéma/montage.

Déterminer l’avantage « principal » implique d’apprécier, voire de quantifier l’avantage fiscal et les autres avantages de l’opération. Pourtant, certains avantages notamment juridiques, sont difficilement évaluables (intérêt du recours à une donation-partage, par exemple).

Aucune méthode, ni précision, n’est pour l’instant fournie par les textes. Des commentaires, publiés pour l’application d’autres dispositifs anti-abus, peuvent toutefois fournir de premières indications…

Plusieurs dispositifs anti-abus prévus, notamment par le droit européen et le droit international, transposés en droit interne, traitent d’ores et déjà de cette notion « d’objectif fiscal principal ». 

Remarque :

Les clauses anti-abus issues du droit européen et du droit international sont les suivantes :

  • Clause anti-abus du régime mère-fille, codifiée à l’article 145, 6-k, par renvoi à l’article 119 ter du CGI (ce dispositif est remplacé par l’article 205 A du CGI pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2019).
  • Clause anti-abus du régime spécial des fusions, codifiée à l’article 210-0 A du CGI,
  • Article 7 de la Convention multilatérale de l’OCDE de 2017 sur l’utilisation abusive des conventions internationales,
  • Article 6 de la directive ATAD de 2016, à portée générale sur les montages qui, à titre d’objectif principal ou d’objectifs principaux, permettent d’obtenir des avantages fiscaux.

Au regard de l’article 7 de la convention multilatérale de l’OCDE

De nombreuses conventions fiscales, signées par la France, comportent des clauses anti-abus similaires. L’article 7 de la convention multilatérale de l’OCDE prévoit une clause anti-abus dite du « critère des objets principaux ». Cette clause permet d’écarter les avantages d’une convention fiscale « lorsqu’il est raisonnable de conclure, au vu de l’ensemble des faits et circonstances propres à la situation, qu’un des objets principaux d’un montage ou d’une transaction était l’obtention d’un avantage au titre d’une convention fiscale ».

Selon les commentaires du modèle OCDE ,l’objet fiscal principal ne sera pas caractérisé si l’obtention de l’avantage fiscal n’est pas un élément essentiel ayant conduit à la conclusion du montage. En d’autres termes, l’avantage fiscal ne doit pas être le critère déterminant.
Si le montage est indissociable d’une activité commerciale essentielle, et qu’il n’a pas été conclu par des motivations liées à l’avantage fiscal, il est peu probable qu’il soit considéré comme objet principal.

Au regard du régime des sociétés mères et filiales

Le bénéfice du régime des sociétés mères et filiales est exclu lorsque les dividendes sont distribués dans le cadre d’un « montage ou d’une série de montages qui, ayant été mis en place pour obtenir, à titre d’objectif principal ou au titre d’un des objectifs principaux, un avantage fiscal allant à l’encontre de l’objet ou de la finalité » du régime fiscal des sociétés mères, « n’est pas authentique compte tenu de l’ensemble des faits et circonstances pertinents. »

L’article 145, 6-k du CGI a été abrogé par la loi de finances pour 2019 mais ses termes ont été repris pour le dispositif plus large visant l’ensemble des rectifications relatives à l’impôt sur les sociétés (CGI, art. 205 A).

La notion d’objectif fiscal principal a été commentée par l’administration fiscale au BOI-IS-BASE-10-10-10-10 § 210. Selon cette dernière, « la  notion d’objectif principal est plus large que la notion de but exclusivement fiscal ; lorsqu’un montage est mis en place avec plusieurs objectifs différents, l’analyse du caractère principal d’un des objectifs résulte d’une appréciation de fait tenant notamment compte de l’évaluation de l’avantage fiscal qui serait obtenu à l’encontre de la finalité du régime d’exonération des dividendes, en proportion de l’ensemble des gains ou avantages de toute nature obtenus par le montage considéré » .

Il convient donc, dans le cadre de ce dispositif :

  • de quantifier l’ensemble des avantages tirés de l’opération afin de procéder à une comparaison ;
  • d’identifier, parmi l’ensemble des avantages fiscaux, ceux qui sont contraires à l’intention du législateur. Seuls ces derniers doivent être rapportés à l’ensemble des avantages procurés.

Au regard de l’impôt sur la fortune immobilière

L’entrée en vigueur de l’IFI en 2018 a conduit à la mise en place d’un nouveau mécanisme anti-abus en matière de déductibilité et de plafonnement des dettes.

Le législateur a introduit la notion d’absence d’objectif principalement fiscal à deux niveaux :

  • Pour la prise en compte de certaines dettes dans l’évaluation des parts et actions de société (CGI, art. 973, II, 1°,2° et 4°) ;
  • Pour le plafonnement de la déductibilité des dettes (CGI, art ; 974, IV).

Les dettes visées par le dispositif anti-abus sont déductibles, lorsque le contribuable apporte la preuve qu’elles ont été contractées dans un objectif autre que principalement fiscal.

Les commentaires de l’administration précisent que cette notion d’objectif principalement fiscal est bien plus large que la notion de but exclusivement fiscal issu de l’article L.64 du LPF. Lorsque la dette contractée avec plusieurs objectifs différents, l’analyse du caractère principal de l’un des objectifs résulte d’une appréciation de fait tenant notamment compte du montant de l’économie d’impôt rapporté à l’ensemble des gains ou avantages de toute nature obtenus du fait du montage.

Notons que pour l’application de ce dispositif, seule l’économie d’IFI doit être prise en compte au titre de l’avantage fiscal.

Avec la mise en place de l’article L. 64 A du LPF, se pose la question de l’articulation des deux dispositifs. En effet, l’abus de droit à but principalement fiscal s’applique à l’ensemble des impôts, IFI compris.

Illustrations

Plusieurs opérations ou schémas fréquemment utilisés dans le cadre du conseil patrimonial risquent d’être menacés par le nouvel abus de droit.

L’assurance-vie est une stipulation pour autrui pour laquelle l’avantage lié à la fiscalité, qui n’intervient qu’à titre accessoire, a été déterminé par le législateur.
L’objectif poursuivi par ce dernier était à la fois d’inciter les contribuables à épargner, mais aussi à anticiper au plus tôt leur transmission.
D’ailleurs, la fiscalité lors du décès diffère en fonction de la date de souscription, favorisant les personnes ayant souscrit avant leur 70ème anniversaire.

Attention tout de même, le but principalement fiscal pourrait sans doute être recherché dans le cas où la souscription « massive » se fait la veille des 70 ans, où lorsque la souscription est effectuée par une personne dont l’espérance de vie apparait définitivement limitée, en raison d’une maladie par exemple.

Constitutionnalité de la mesure

L’article 109 de la loi de finances pour 2019 qui crée l’abus de droit à but principalement fiscal, n’a pas été soumis au contrôle du Conseil constitutionnel. La question de sa conformité à la Constitution reste donc posée.

Un article similaire portant sur la création d’une procédure d’abus de droit à but principalement fiscal avait d’ores et déjà été intégré au sein du projet de loi de finances pour 2014. Le Conseil constitutionnel avait été saisi, et avait censuré cette mesure. En effet, ce dispositif laissait une bien trop grande marge d’appréciation à l’administration fiscale compte tenu dans la sanction infligée : la majoration automatique de 40 %, voire 80 % des droits dus.

Tenant compte de cet avis, l’amendement proposé dans le cadre de la loi de finances pour 2019 a exclu toute sanction automatique dans le dispositif de l’article L.64  A.

Pour prévenir d’une éventuelle censure du Conseil Constitutionnel, la procédure de rescrit « abus de droit » et la possibilité de saisir le comité de l’abus droit en cas de contentieux ont été étendues à ce dispositif.

Il n’en reste pas moins que la notion de motif fiscal principal laisse planer une forte insécurité juridique pour le contribuable, d’autant plus forte en l’absence de jurisprudence et de commentaires administratifs. Bien qu’il soit possible d’obtenir en amont la validation d’une opération avec un rescrit, le délai de réponse de l’administration de six mois rend cet outil difficile à mettre en œuvre… L’argument tiré de la méconnaissance de l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi pourrait vraisemblablement être soutenu à l’occasion d’un litige dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité. Celui-ci impose au législateur « d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques afin de prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d’arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n’a été confiée par la Constitution qu’à la loi «  (Conseil constitutionnel n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013).

Il conviendra de rester attentif aux premiers contentieux menés sur le fondement de l’article L. 64 A du LPF…

Source: Fidroit