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Annulation d’une vente en viager : peut-on parier sur une espérance de vie de 110 ans ? (CA Douai 21/11/2019)

27.02.2020 13:12 | Fidroit, Immobilières

1. Ce qu’il faut retenir

En matière de vente en viager, l’incertitude des 2 parties sur leurs gains ou pertes est indispensable.

Dès lors que le vendeur (=crédirentier) doit vivre jusqu’à 110 ans pour obtenir la totalité du prix de vente, l’acheteur (=débirentier) est assuré d’être gagnant.
En effet même si en théorie il est possible de vivre jusqu’à 110 ans, il est rare d’atteindre cet âge.

Il y a donc une absence d’aléa, entraînant un déséquilibre entre les parties.
La vente en viager doit être annulée. L’acheteur restitue la pleine propriété de l’immeuble au vendeur et ce dernier lui rembourse le bouquet et les rentes.

2. Conséquences pratiques 


Lors de la conclusion d’un contrat de rente viagère, les parties doivent s’assurer du respect de plusieurs conditions pour que la vente ne soit pas frappée de nullité.

Le contrat doit dépendre d’un événement incertain, le décès du vendeur : l’aléa.
Le prix doit être sérieux et déterminé. Il est recommandé de fixer le prix de vente avec l’aide de professionnels afin qu’il soit cohérent avec le prix du marché, le droit d’usage et d’habitation, l’espérance de vie, etc.


Remarque :

La vente en viager n’est pas valable lorsque :

le crédirentier décède dans les 20 jours qui suivent la signature du contrat ;
Le montant de la rente est inférieur à la valeur locative du bien ;
le montant de la rente a été établi sur la base d’un prix inférieur de moitié à la valeur réelle de l’immeuble ;
l’espérance de vie du vendeur est estimée à 110 ans pour le calcul de la rente viagère.

3. Pour aller plus loin

3.1. Contexte

Les litiges relatifs aux ventes en viager sont fréquents puisque ce type de transaction est de plus en plus utilisé par des personnes âgées qui souhaitent continuer à vivre dans leur logement tout en percevant un complément de retraite.

L’article 1964 du Code civil prévoit que la vente en viager est « une convention réciproque dont les effets, quant aux avantages et aux pertes, soit pour toutes les parties, soit pour l’une ou plusieurs d’entre elles, dépendent d’un événement incertain. L’aléa étant un élément indispensable du contrat, l’absence d’aléa est souvent invoquée pour obtenir la nullité du contrat de vente en viager.

Rappel :

Avec un viager occupé (en opposition à un viager libre), le vendeur conserve la jouissance de son logement, il demeure titulaire du droit d’usage et d’habitation jusqu’à son décès. Contrairement à un usufruitier, il n’est pas autorisé à louer le bien, il peut seulement y habiter.
Il faut prévoir dans l’acte de vente une clause d’abandon du droit d’usage et d’habitation pour que le crédirentier puisse quitter le logement sans que la vente ne soit remise en cause. Il convient également de prévoir une majoration de la rente viagère dans l’acte de vente puisque le vendeur n’occupe plus le bien, l’acquéreur peut en disposer librement sous réserve de continuer à verser la rente.

3.2. Faits et procédure

Mme Y a vendu en viager son logement à la société Vanstone (acte notarié du 31 janvier 2013). Le logement a été estimé à 240 000 € en pleine propriété. Compte tenu du droit d’usage et d’habitation, la vente a été conclue pour 212 400 € payable d’une part comptant pour 122 000 € (=bouquet) et d’autre part en mensualités de 250 € (=rente viagère). Il était précisé que le droit d’usage et d’habitation de Mme Y serait incessible.

La société Vanstone s’est aperçue que Mme Y avait quitté son logement sans l’informer et qu’il était occupé par Mme X. La société a donc demandé devant le TGI de Lille de constater que le droit d’usage et d’habitation de Mme Y était éteint (car elle avait quitté le logement) et qu’un éventuel bail au profit de Mme X était nul.

Mme Y, de son coté à demander la nullité du contrat de vente en viager pour absence d’aléa.

Le TGI de Lille (jugement du 6 février 2018) a ordonné l’annulation de la vente en viager. En conséquence la société Vanstone devait restituer la pleine propriété du logement à Mme Y et cette dernière devait rembourser le prix perçu (bouquet + rentes). La société Vanstone a également été condamnée à verser 42 000 € à Mme Y au titre de dommages et intérêts.

La société Vanstone a fait appel de ce jugement.

3.3. Arrêt

La cour d’appel a rappelé que le contrat de rente viagère est un contrat aléatoire, dont les effets (gains ou pertes) dépendent d’un événement incertain, la date de décès du vendeur. Chacune des parties doit contracter dans l’incertitude quant à ses gains ou pertes. Or dans le cas présent, la société Vanstone savait que l’opération ne pouvait que lui être profitable :

  • elle connaissait la situation de Mme Y, âgée de 81 ans ayant des problèmes de santé l’ayant conduite à être hospitalisée plusieurs fois. Il était prévisible que celle-ci devrait quitter son logement à court terme, incompatible avec un droit d’usage et d’habitation incessible.

  • elle ne paierait le prix de vente (212 400 €) que si Mme Y vivait jusqu’à 110 ans (bouquet 122 000 € + 362 mensualités de 250 €, soit 30 ans).

Alors que la vente était désavantageuse pour Mme Y :

  • il lui faudrait vivre jusqu’à 110 ans pour percevoir l’intégralité du prix de vente,
  • le droit d’usage et d’habitation incessible ne lui permettait pas de quitter son logement si elle devrait vivre dans une résidence médicalisée.

La Cour d’appel de Douai (arrêt du 21 novembre 2019) a ordonné l’annulation de la vente en viager. En conséquence la société Vanstone a dû restituer la pleine propriété du logement à Mme Y et cette dernière rembourser les sommes perçues (bouquet + rentes) à la société Vanstone.
La société Vanstone a également été condamnée à verser 15 000 € (contre 42 000 € en première instance) à Mme Y au titre de préjudice moral.

3.4. Analyse

Comme l’a rappelé cet arrêt, l’aléa est un élément indispensable du contrat de vente en viager. Il doit être vérifié que la transaction comporte une réelle incertitude quant aux gains ou pertes des 2 parties. L’absence d’aléa est sanctionnée par la nullité du contrat.

Pour les ventes immobilières en viager, l’espérance de vie du crédirentier est un critère recherché par les juges pour déterminer si le contrat de vente est aléatoire. La durée de vie du crédirentier doit être imprévisible, sinon il n’y a plus d’aléa. L’article 1975 du Code civil précise que le contrat est annulé si le crédirentier décède d’une maladie dans les 20 jours de la date du contrat. En effet, il n’y a pas d’aléa si le vendeur était malade et qu’il décède de cette maladie dans les 20 jours de la signature de l’acte. La jurisprudence a également annulé un contrat pour lequel le crédirentier est décédé plus de 20 jours après la signature de l’acte mais dont le débirentier connaissait la mauvaise santé du vendeur. Cette connaissance de l’état de santé dégradé du vendeur, rendait son décès prévisible, il n’y avait donc plus d’aléa véritable pour l’acquéreur.

Les parties sont libres de fixer le prix de vente (prix de marché, selon l’offre et la demande), toutefois il résulte d’un calcul complexe faisant intervenir plusieurs facteurs :

  • la valeur du bien : il faut faire appel à un expert immobilier pour évaluer le bien et déterminer la valeur de marché.

  • le droit d’usage et d’habitation du vendeur : application d’un abattement d’occupation sur la valeur du logement, inversement proportionnel à l’âge du vendeur.

  • Le taux de rendement du bien : il convient de chiffrer le manque à gagner pour l’acquéreur sur la valeur locative du bien en estimant le montant du loyer théorique par rapport à la durée de l’espérance de vie du vendeur.

  • l’âge du crédirentier et son espérance de vie qui peut être estimée en utilisant les tables de mortalité de l’INSEE ou celles des compagnies d’assurances.

  • la réversibilité éventuelle de la rente au profit d’un second crédirentier.

Une fois le prix de vente déterminé, la répartition entre bouquet et rente viagère est librement établie entre les parties (ni l’un, ni l’autre ne sont obligatoires).


Le bouquet représente généralement 20 à 30% de la valeur du bien, voire plus si le vendeur a besoin d’un capital ou moins s’il préfère une rente viagère importante. Une fois le montant du bouquet arrêté, le solde du prix de vente est converti en rente viagère.


La périodicité de la rente est librement fixée par les parties. Elle est habituellement mensuelle.

Source: Fidroit