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Logement familial : une protection pas toujours effective

15.03.2019 07:00 | Accueil, Actualités, Fidroit, Social

L’absence de droits du conjoint sur le logement familial peut entraîner son expulsion ou la vente du bien sans son consentement.

Ce qu’il faut retenir

Le logement de la famille bénéficie d’une protection spécifique durant le mariage, pendant une procédure de divorce et en cas de décès.

Cependant ces diverses protections peuvent être neutralisées lorsque :

  • Le bien ne fait plus partie de la succession de l’époux débiteur du fait de son dessaisissement rétroactif à la date de son décès.
  • Le bien est détenu par une SCI et le conjoint ne justifie d’aucun titre d’occupation.

Conséquences pratiques

Dans ces trois affaires, l’expulsion du conjoint ou la vente du bien sans son consentement ont été possibles du fait de son absence de droits sur le logement :

  • Soit que le bien ne fasse pas partie de l’actif successoral ;
  • Soit que le conjoint ne puisse justifier d’aucun titre d’occupation.

Pour aller plus loin

Protection du logement familial pendant le mariage – Principe de cogestion

Les époux ne peuvent l’un sans l’autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille et les meubles le garnissant. L’époux qui n’a pas donné son consentement à l’acte peut en demander l’annulation.
C. civ. art. 215, al 3

Rappel :

Cette disposition figure parmi les règles composant le régime primaire et s’applique quel que soit le régime matrimonial des époux.

L’application de ces dispositions en cas de détention du logement via une société dont l’un des époux est associé et/ou gérant a donné lieu à de rares jurisprudences.
Le dernier arrêt important sur le sujet a ainsi été rendu en 1986. La Cour de cassation avait alors décidé que le conjoint qui n’avait pas donné son accord à la cession du logement familial pouvait en demander la nullité, dès lors que la société qui détenait ledit logement était fictive.

La solution a évolué avec les nouvelles décisions.

Arrêt du 7 février 2018

Une SCI constituée par un couple et ses enfants avait cédé un bien immobilier à une société dont le mari est l’associé unique.
Postérieurement à cette cession, l’épouse s’est installée dans ledit immeuble avec ses enfants.
La société du mari a assigné l’épouse en expulsion et en paiement d’une indemnité d’occupation.

La Cour de cassation décide que la société, tiers propriétaire de l’immeuble, conservait la possibilité d’exercer des voies d’exécution à l’encontre de l’épouse.
Elle relève que Madame était occupante sans droit ni titre.

Arrêt du 14 mars 2018

Des époux et leurs enfants s’installent dans un bien appartenant à une SCI dont le mari détenait la quasi-totalité des parts.
Le mari, gérant de la SCI, obtient l’accord de l’assemblée générale pour vendre l’immeuble.
L’épouse demande l’annulation de la vente.

La Cour de cassation décide que la société pouvait vendre l’immeuble, dès lors que les époux ne pouvaient justifier :

  • ni d’un bail;
  • ni d’un droit d’habitation ;
  • ni d’une convention de mise à disposition du logement par la SCI au profit de son associé.

Protection du logement familial au décès – Droit viager au logement

Le conjoint survivant qui occupait effectivement, à l’époque du décès, à titre d’habitation principale un logement appartenant aux époux ou dépendant totalement de la succession, a sur ce logement jusqu’à son décès un droit d’habitation et un droit d’usage sur le mobilier compris dans la succession, le garnissant.  Ce droit viager n’est pas automatique mais résulte d’une option exprimée par le conjoint dans un délai d’un an à compter du décès.
C. civ. art 764

De nature successorale, le droit viager s’impute sur la part successorale du conjoint survivant.
C. civ. art 765

Le défunt peut tout à fait priver son conjoint survivant du droit viager d’usage et d’habitation, mais a alors l’obligation de le faire par testament authentique (reçu par deux notaires ou par un notaire assisté de deux témoins).

Précisions :

Cette privation du droit viager est parfois inopérante : si le conjoint est titulaire d’un droit d’usufruit soit universel, soit portant sur le logement, celui-ci absorbe le droit viager. Par conséquent, si le défunt veut absolument que son conjoint quitte les lieux, il devra lui imposer le quart en pleine propriété (et le priver de l’usufruit légal) ou même le déshériter (le priver du quart en pleine propriété et de l’usufruit légal).

Par ailleurs, ce droit viager peut entrer en conflit avec d’autres droits appartenant à des tiers :

Le logement peut avoir fait l’objet d’une donation à un tiers qui devient propriétaire du logement au décès de l’époux prémourant. Le bien ne faisant pas partie de la succession, il échappe donc au droit viager au logement. Il en est ainsi par exemple lorsque le défunt a donné de son vivant le logement familial en se réservant l’usufruit.

Le logement peut avoir fait l’objet d’un legs. Dans ce cas, le bien fait partie de l’inventaire de la succession. Plusieurs auteurs estiment alors que légataire supporte le droit d’habitation et d’usage du conjoint survivant si celui-ci n’en a pas été privé par le défunt par testament authentique.

Remarque :

A titre de comparaison, lorsque le conjoint détient un usufruit légal (C. civ. art. 757) ce dernier porte sur les biens existants au jour de la succession desquels on déduit les donations et legs consentis par le défunt. Dans le cas où ce dernier aurait disposé de tous ses biens à titre gratuit, soit de son vivant, soit à cause de mort, le conjoint survivant ne pourra, en conséquence, exercer son usufruit. Dès lors, l’usufruitier est dans ce dernier cas moins bien protégé que le titulaire du droit viager.

L’assiette du droit viager ne peut être qu’un logement dépendant en totalité de la succession ou appartenant aux deux époux. Le législateur n’a pas voulu imposer à un tiers la présence du conjoint survivant sa vie durant.
C.civ.art. 764

Le conjoint ne peut également exercer son droit viager sur un bien donné à l’époux prédécédé et qui fait l’objet d’un droit de retour conventionnel.

Remarque :

Le conjoint survivant dispose en outre d’un droit temporaire d’un an sur le logement familial. Ce droit est d’ordre public et le conjoint survivant bénéficie de ce droit, non pas en tant qu’héritier, mais en tant qu’époux. N’étant donc pas un droit de nature successorale, il ne s’impute pas sur la part du conjoint survivant : il vient en plus de ses droits légaux. Le droit temporaire de jouissance du logement n’empêche pas le défunt de léguer ce bien : simplement, le legs ne s’exécutera qu’après le délai d’un an.
C. civ. art. 763

Un débiteur agriculteur a été placé en liquidation judiciaire en 1993. Il a obtenu, du fait de sa qualité de rapatrié d’Algérie, la suspension des effets et du déroulement de cette procédure en 2001.
Il décède en 2007 laissant pour lui succéder son épouse et son fils. L’épouse opte pour le droit viager d’usage et d’habitation.
A la suite de la décision du Conseil constitutionnel du 27 janvier 2012 déclarant inconstitutionnel le texte prévoyant le bénéfice de la suspension de la liquidation judiciaire, un jugement rendu le 14 avril 2014 a ordonné la reprise de la procédure et a autorisé la vente du bien grevé de ce droit viager au logement. L’épouse du débiteur est assignée par les acquéreurs en expulsion.
La Cour d’appel de Riom, dans un arrêt rendu le 20 septembre 2017, rejette la demande des acquéreurs aux motifs que la veuve a, jusqu’à son décès, un droit d’habitation et un droit d’usage sur le mobilier compris dans la succession et que la décision de suspension de la procédure judiciaire ne peut être remise en cause par application du principe de non-rétroactivité.

La Cour de cassation décide que la décision ordonnant la reprise de la liquidation judiciaire produit ses effets rétroactivement pour tous les actifs qui faisaient partie du patrimoine du débiteur et qui n’avaient pas été réalisés à la date de la suspension, en ce compris le logement occupé par le conjoint, de sorte que le débiteur étant dessaisi à la date de son décès, le conjoint survivant ne peut se prévaloir du droit d’habitation et d’usage sur le mobilier.

Dans la décision du 30 janvier 2019 les droits des créanciers étaient antérieurs au décès du fait de la rétroactivité de la décision de reprise de la liquidation judiciaire ce qui explique la défaillance de la protection du logement familial.

A contrario, si les droits du créancier étaient postérieurs au décès, le logement aurait été protégé. En effet, l’incessibilité des droits d’usage et d’habitation emporte leur insaisissabilité et l’impossibilité de les hypothéquer.

En cela, le droit viager se distingue radicalement de l’usufruit, qui comporte pour son titulaire le pouvoir d’aliéner son droit (à titre onéreux ou gratuit) et de louer le bien dont il a la jouissance. Le droit viager comporte l’usus mais non le fructus. L’usufruit absorbant le droit viager, il reste à se demander s’il y subsiste en filigrane pour cette insaisissabilité. Cette question n’est pas tranchée.

La doctrine s’accorde à dire que le droit temporaire au logement devrait bénéficier de la même insaisissabilité durant un an. Cette position paraît plausible dans la mesure où le conjoint peut opter par la suite pour le droit viager insaisissable.

Par ailleurs, le logement familial est mieux protégé après le décès de l’époux prémourant qu’il ne l’était de son vivant par l’article 215 alinéa 3 du Code civil puisque cette disposition « ne rend pas insaisissable le logement de la famille » et n’empêche pas l’inscription d’une hypothèque judiciaire.

Synthèse des droits des créanciers sur le logement familial
Catégorie de droits Saisissable Insaisissable
Droit viager x
Droit temporaire x
Usufruit x
Article 215, al.3 x*

* sauf créanciers professionnels si entrepreneur individuel ou EIRL, déclaration d’insaisissabilité, entreprise exploitée en société. 

Source: Fidroit